Anne-Sophie Pic, Grande Dame de la cuisine française

C’est un honneur et un privilège que m’a accordé Anne-Sophie PIC: la seule cheffe française à détenir trois étoiles au Guide Michelin. Elle nous fait part de ses valeurs, de son expérience et de ses émotions en cuisine. Elle conseille également les jeunes femmes qui souhaiteraient s’engager dans le monde de la gastronomie !

Comment vous définissez vous en tant que Chef ?

Je suis fille et petite-fille de chefs. Petite, même si ma vie familiale était totalement imbriquée dans la vie professionnelle de mes parents, je n’envisageais pas de suivre leurs pas. Nous vivions au-dessus des cuisines de mon père : j’étais comblée de cette proximité, mais celle-ci est devenue quelque peu pesante, plus tard, lors de mon adolescence.

Je suis partie à Paris pour faire une école de commerce qui m’a amenée à voyager en Asie et aux États-Unis, mais aussi à faire des stages dans des maisons comme Moët-Hennessy ou Cartier. J’ai donc souhaité apprendre à cuisiner aux côtés de mon père. Le décès brutal de ce dernier a interrompu un apprentissage à peine commencé. La perte de la 3ème étoile trois ans après m’a définitivement convaincu de mon retour en cuisine. Il m’a fallu alors quelques années pour penser ma cuisine faite autour d’associations de saveurs, de la recherche de la complexité aromatique, de la puissance des goûts et de la délicatesse des expressions. Une cuisine sur le fil, toujours en équilibre, dont la trame est l’amertume.

Pour moi l’audace et la créativité résonnent particulièrement dans mon parcours. Lorsque je suis arrivée en cuisine, je n’avais que mon intuition et mes émotions pour m’aider à construire mes plats, suite au décès soudain de mon père. La technique, je l’ai apprise en pratiquant. Et cela m’a donné une immense liberté, celle d’oser penser ma propre cuisine, d’associer des saveurs inédites, complexes, de rechercher des goûts qui ne sont pas consensuels comme l’amer, l’acide, l’iodé, le torréfié, le fumé… pour les apprivoiser. J’ai osé suivre mon instinct.  Je crois profondément en la capacité de la gastronomie française à innover, à se réinventer, à allier tradition et modernité. L’innovation et la créativité ne sont pas ennemies de la tradition. Elles sont plutôt complémentaires. 

« Ces expériences ont été très enrichissantes et m’ont permis de réaliser que j’avais le privilège d’avoir un patrimoine vivant à inscrire dans la durée. »

 Je revendique une cuisine de l’éphémère, de l’instant qui privilégie les cuissons directes, les sauces minutes pour être au plus proche du goût. La technique est mise au service de cette recherche de quintessence : infusion, décoction, enfleurage, macération, fermentation sont autant de moyens de favoriser les échanges de saveurs et de sublimer la puissance aromatique de mes plats. Il est vrai que cuisiner les fleurs demande beaucoup de précision, on est toujours sur le fil mais le résultat est tellement magique !

Qu’est ce que l’Ardèche représente pour vous ?

Je suis profondément attachée à ma ville natale, Valence, et ancrée dans mon terroir. C’est ma maison. J’y vis. J’ai la chance d’habiter la première région bio de France, riche d’une diversité incroyable de produits, de spécialités régionales, de vin, d’artisanat. Ma créativité se nourrit de la nature qui m’entoure. Je viens d’une famille de cuisiniers et de paysans. J’aime la simplicité et la sincérité.

À quoi vous êtes-vous toujours rattachée dans les moments les plus difficiles de votre carrière ?

Je reste toujours très exigeante avec moi-même, car rien n’est jamais acquis de façon définitive. Je me remets chaque jour en question pour donner le meilleur de moi-même.
Je viens d’une famille protestante, j’ose dire éclairée, guidée par le respect de la famille, la communauté, le partage, une certaine fierté patriote et une éthique de travail de fer. Ces valeurs sont non-négociables. Elles me guident à chaque seconde. Comme une boussole.

Mon mari, David Sinapian, est un support, un guide, un mentor extraordinaire. Mes équipes sont au cœur de notre succès. En 1997, avec David nous avons repris la direction du restaurant de mon Père. Le développer, le magnifier est le plus bel hommage que je puisse rendre à mes parents, grands-parents et arrière grands-parents.
(Photo Paris Match)


Un conseil à une jeune femme qui entre tout juste dans le monde de la gastronomie ?

Le métier de Chef est historiquement dominé par les hommes alors même que la cuisine domestique est le fait de femmes. Or c’est un métier dans lequel les femmes ont toute leur place car elles vivent pleinement leur engagement, font preuve de ténacité, d’endurance, de concentration…mais aussi de sensibilité et d’humilité ! Je défends la mixité en cuisine car la complémentarité homme/femme permet de travailler dans une ambiance sereine et apaisée.

« Je pense que de plus en plus de femmes empruntent le chemin des fourneaux et c’est tant mieux. »

Je vous invite à regarder le très joli documentaire de Vérane Frédiani « À la recherche des femmes chefs » qui a su –avec la bonne distance– valoriser des parcours de femmes avec des histoires différentes mais animées de cette envie, de cette passion de leur métier, de cette volonté de transmission. Des parcours qui entrent en résonance les uns par rapport aux autres et montrent toute la richesse que les femmes peuvent apporter sans pour autant oublier leur féminité.

DeLouison.

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