Je me demande toujours comment décrire une personne que j’admire. Et puisque je pars du postulat que l’objectivité n’existe pas et qu’elle reste, en somme, un objectif illusoire, j’écris au gré de mes envies, guidée par mes passions.
N’y a-t-il rien de plus difficile que de mettre des mots sur ses émotions ? Pourtant, cela paraît si facile pour Carrie Bradshaw, qui, face à sa fenêtre active les touches de son Powerbook G3 inspirée par l’atmosphère apaisante de Perry Street.
Je décide donc de me la jouer à l’américaine. Je m’installe dans un café parisien ou chaque minute est comptée. Je commande un américano que j’arrose avec encore plus d’eau. Je repère le fauteuil le plus confortable et j’ouvre mon MacBook Air avec l’impression de devoir écrire « L’article » qui va résoudre les enjeux du Brexit ! (Rien que ça !)
Bercée par le son de la machine à café en surchauffe, les rires des étudiants happés par leurs vies virtuelles et les hauts parleurs qui inondent l’endroit de Jazz, je décide d’écrire une lettre à Vincent Dedienne.
Vincent, Vincent, Vincent…
Je me souviens de la première fois où je t’ai entendu. J’étais dans ma chambre, assise sur mon lit, les yeux dans le vide comme je le suis maintenant sur ce fauteuil. Le son trop fort et saturé de ma télévision d’étudiante, semblable à celui qui se joue dans ce soit disant « cosy-café », jouait le générique de Quotidien. Je revenais de l’université. Mon professeur de sociologie nous avait assenés, à coup de Kant, que « la rationalité pratique du dialogue » (encore une notion philosophique complexe) était le seul moyen d’accéder au véritable espace publique. En d’autres termes, il nous ventait les individus qui avaient un intérêt pour le collectif. Puis j’ai entendu ta voix avant même de te voir.
Soudain tu m’as provoquée.
J’ai ri à tes premières paroles. J’ai tourné la tête face à l’écran et j’ai pu mettre un visage sur mes rires. La fatigue accumulée de cette journée s’était envolée comme le verre des mains de la serveuse. Non seulement je comprenais la leçon de mon professeur de sociologie mais j’assistais en direct à sa mise en pratique. Tu n’étais pas là juste pour toi. Tu servais le collectif. Tu avais réussi à établir une communication entre toi et nous. Tu avais réussi à aller au-delà du tube cathodique. Tu nous avais, tu m’avais atteinte.
C’est rare, dans cette situation, que le rire atteigne les tripes. En tant que téléspectateur on peut : émettre un rictus, un « ahah » forcé, un haussement d’épaule, un souffle soudain qui contracte les abdos, un acquiescement, une note aigue, un « c’est drôle » mais sans rire ou se laisser tomber sur le côté exténué par la (presque) même journée qu’hier.
Avec tes airs de premier de la classe, l’air de rien, tu m’es apparue alors que je pensais que cette soirée serait comme les autres : trop courte et peu palpitante.
Mais Vincent, tu fais partie de ceux qu’on ne soupçonne pas, de ceux qui, un jour, entrent dans nos vies sans prévenir et qui pourtant la transforme.
Comment fais-tu pour anticiper la chute ? Pour qu’elle soit bonne ? Pour qu’elle ressemble à chaque fois, à un atterrissage en douceur, contrôlé et que notre seule envie soit de ressauter dans le vide ? Je me pends à tes lèvres car j’ai la sensation que chacun de tes mots est juste et dépeint avec précision la situation que tu décris. Rien ne semble t’effrayer. Ni le direct, ni le regard caméra, ni ce qu’il se passe de l’autre côté de l’écran, de la scène ou des ondes.
Ton air moqueur, sarcastique souvent, et empreint de légèreté, n’existe nulle part ailleurs. Et si je dis de toi que tu es un génie c’est parce qu’à chaque fois je me demande si ta prestation sera meilleure que la précédente. Alors tu te mets à parler et je serre les poings car j’ai peur pour la chute. Et comme l’Histoire avec un grand H, le scénario se répète. Tu sembles piocher dans des ressources inépuisables pour effectuer le même tour de force : nous faire oublier l’instant.
Mais comment fais-tu pour manier les mots et les silences avec tant de drôlerie et de poésie ? Comment fais-tu pour nous transporter dans chacune de tes histoires sans jamais nous perdre ? « Mais qui es-tu Vincent ? »
Je tente ambitieusement de répondre à cette question. Je me replonge dans les premiers instants où j’ai entendu ta voix. J’essaie de comprendre ce que tu mobilises en nous pour que tout à coup, rien ne nous déplaise chez toi.
Et tandis que je suis au maximum de ma concentration, visualisant ton visage, écoutant tes mots tout en étant attentive aux sensations que cela provoque en moi, la serveuse m’arrache sans délicatesse à mes pensées par un simple: « Je peux ? ».
Tout en me demandant (toujours) : « Mais qui es-tu Vincent ? », les yeux happés par le vide, entourée des notes de Jazz qui rebondissent sur les murs, je lui tends ma tasse et me prépare à courir vers un nouveau rendez-vous…
De Louison.