Guerrillero Heroico, le portrait d’Alberto Korda

La contradiction est ici intéressante puisqu’elle permet au spectateur de s’identifier à travers cette figure, de s’en rapprocher, mais elle montre aussi que ce symbole révolutionnaire se matérialise au delà d’une autorité, mais bien dans l’identification.

Alberto Korda, qui est-il ?

Il s’agit d’une photographie d’ Alberto Díaz Gutiérrez, plus connu sous le nom d’Alberto Korda, (1928-2001), photographe cubain célèbre notamment pour son portrait de Che Guevara. La photographie, nommée « Guerrillero Heroico » fut prise le 5 mars 1960, à La Havane, alors que le photographe et le Che étaient présents aux funérailles des victimes de l’explosion du bateau « La Coubre » (cargo français qui explosa à Cuba et qui causa de nombreuses victimes). La photographie fut publiée dans le journal « Revolución » pour lequel Korda travaillait. Il retravaillera ensuite l’image pour y intégrer deux autres plans, celui du profil d’un homme et d’un palmier. Alberto Korda ajoutera :

« Il a une expression farouche. Quand il est apparu, au bout de mon objectif de 90 mm, j’ai eu presque peur en voyant la rage qu’il exprimait. Il était peut-être ému, furieux, je ne sais pas. J’ai appuyé aussitôt sur le déclic, presque par réflexe »

Que voit-on ?

La photographie est en noir et blanc. Tout se passe au premier plan. Aussi sur la même ligne il y a, à gauche, un homme de profil, pour lequel on aperçoit que partiellement son visage, un bout de son bras droit et son regard hors champ. Au centre le Che, de trois quart face et qui fixe un point lui aussi hors champ. Il porte une veste et un béret (avec une étoile représentant l’armée mais aussi le communisme). Ses cheveux sont en bataille, il paraît déterminé et sûr de lui, prêt à accomplir une action. De plus, le plan du personnage central est pris en contre plongée ce qui le différencie des autres éléments et le place comme la figure centrale. Enfin à droite une plante qui s’apparente à un palmier. Les trois éléments principaux sont donc sur le même plan mais à des hauteurs différentes.

En effet, les deux éléments à droite et à gauche de l’image occupent respectivement toute la hauteur du tableau ce qui crée des lignes verticales qui renforcent la présence du personnage principal. Le personnage au centre coupe le tableau de trois quart et crée une ligne horizontale qui casse la dynamique du tableau et concentre le regard du spectateur au centre de celle-ci.

Le collage du photographe semble constituer une scène qui se déroule dans un espace clos, rapproché et qui focalise toute l’attention sur le personnage central. Les deux éléments de part et d’autre de la photographie encadrent le personnage et le révèle comme pour lui donner de la hauteur, de l’importance et tous les regards.

Les mouvements ne sont pas apparents sur cette illustration. Les seuls éléments qui nous donnent une impression de « vie » sont les regards. Le regard de l’homme à gauche est porté hors champ, ce qui à la fois oriente le regard du spectateur en dehors des cadres de l’image avant de le refixer aussitôt sur la figure du Che. Pour ce dernier, son regard est captivé par un élément se situant face à lui, hors champ, comme étant placé derrière le spectateur, créant une attente ou une interrogation. Son visage est crispé, froid comme si tout son corps était captivé par ce point culminant qu’il semble fixer.

Les corps sont mobiles mais les visages, expressifs, suggèrent la vie et le mouvement. L’illustration retranscrit un moment prit sur le vif qui retranscrit une dimension figée et la banalité de la scène.

Quand l’image parle d’elle même…

guerrillo

Au delà de la dimension descriptive et de la réception de l’œuvre, cette œuvre ne fait-elle pas signe ? Ne renvoie t-elle pas à une dimension qui serait de l’ordre du symbole, renvoyant à une histoire et à des idéaux ? Qu’est ce que nous dit l’image ?

Tout d’abord, selon Peirce, le symbole est « un signe ou la relation entre le signifiant et son objet est réglée par une loi ou une habitude ». Dans cette photographie la figure du Che renvoie au symbole de la révolution. Ce symbole est renforcé par la droiture et la posture du Che mais aussi par celle de l’homme à gauche. Mais ce sont aussi les regards qui permettent de montrer et de symboliser le pouvoir, la lutte, l’autorité, « la rage » comme dit Korda. Car il n’y a pas de lien de ressemblance entre le representamen et l’objet. La symbolique repose uniquement sur du conventionnel qui répond à une loi ou la relation est intentionnelle.

Dans cette photographie le Che fait écho à la figure du militaire par son béret associé à l’étoile (qui renvoie au communisme). Cependant l’illustration permet d’établir un paradoxe entre la figure du militaire traditionnelle et celle du Che qui se présente avec une chevelure mal brossée, une moustache et une barbe apparente mais aussi par sa veste en cuir qui ne représente en rien une tenue militaire. La contradiction est ici intéressante puisqu’elle permet au spectateur de s’identifier à travers cette figure, de s’en rapprocher, mais elle montre aussi que ce symbole révolutionnaire (qu’est le Che) se matérialise au delà d’une autorité mais bien dans l’identification. L’étoile, toujours dans cette dimension symbolique, pourrait renvoyer à l’image du guide qui oriente les hommes vers le droit chemin. Et cette pensée est appuyée par le regard du personnage central. En effet, alors que son corps est tourné vers la droite, son regard est dirigé hors champ, vers la gauche et semble fixer un horizon idéal que le spectateur ne voit pas, renvoyant à un passé meilleur.

Ensuite, à travers ce portrait de Che Guevara, on peut sans doute y voir une ressemblance avec la figure de « Jésus Christ ». Entre ces cheveux ébouriffées, le regard semblant indiquer le bon chemin et le palmier qui n’est pas sans rappeler les rameaux. Tout cela permet à la fois de souligner la noblesse du personnage mais aussi de justifier cet instant comme un tournant et un changement historique. Les deux autres éléments qui habillent l’image permettent aussi une construction classique de la photographie et soulignent une conception en triangle qui renvoie à la trinité et permettrait une relecture païenne. Le regard de l’homme permet de dresser un portrait du Che comme étant le grand successeur des révolutionnaires du passé qui transmettrait le flambeau aux générations à venir.

Mais, sans traces discursives apparentes, l’image semble parler d’elle même. Le noir et blanc qui permettent de souligner les traits et de noircir les regards, ajoutent une dimension théologique à cette image comme si le Che pouvait être associé à la figure de « Jésus Christ » et permettrait la légitimité et même l’autorité de l’illustration. De plus, l’homme à droite symbolise l’image du peuple (anonyme) qui va vers le futur avec confiance. Le Che est ici un protecteur qui s’inscrit dans la ligne continue de la révolution. Il est le pivot au centre de l’image. Enfin les palmiers sont comme les lauriers de César : ils promettent la réussite de cette marche en avant révolutionnaire.

De plus, la relation entre le signifiant et l’objet dépend de plusieurs choses comme le support sur lequel l’image est montrée et véhiculée. Dans le cadre de cette illustration sa diffusion est internationale (t-shirt, posters, affiches, campagnes publicitaires, etc) et le cadre sur fond de Marie-Louise encense l’image et renforce son caractère symbolique. L’image accomplie cette acte symbolique au delà des regards et des corps par le titre : « Guerrillero Heroico ». Il fait parler l’image en lui conférant une « aura » révolutionnaire associée au destin et au combat du Che, renvoyant à une histoire particulière. Mais ce titre ajoute aussi une dimension mythique et mythologique ou le Che serait un héros, un guerrier qui changerait la conception du monde, se livrant à des combats immenses. Cette image inscrit un instant précis associé à des idéaux, dans un espace temporel : celui de l’avènement du communisme. Elle sera alors le symbole de la révolution.

«Guerrillero Heroico», un symbole révolutionnaire

Aussi, cette illustration semble lui accorder quelques qualités comme celles de la bravoure, du dévouement, de l’engagement, de la fierté, de l’autorité, du défi mais aussi le sérieux militaire.

Ainsi, cette image souligne des éléments plastiques en associant le noir et blanc et la froideur, la droiture et la détermination des regards. Cette mise en tension donne du sens à l’image et lui permet d’accomplir un acte à la dimension symbolique, celle de la révolution et de l’indépendance. Le Che, au corps immobile transmet par son regard sa vision de la vie ou son esprit symbolise la liberté d’aspirer à un ailleurs qui semble résider dans un hors champ. La photographie fait signe, puisqu’elle permet de faire passer le Che de simple personnage vernaculaire à l’incarnation d’une idée, d’un concept : celui de la Révolution.

Le spectateur est extérieur à la scène, contemplatif, et attiré par cette scène complexe et chargée de symboles, mais aussi acteur de l’image car il est celui qui permet de faire sens et confère un caractère symbolique. C’est sans nul doute la mise en tension de ces multiples constituants de l’image qui créée le caractère intrinsèque de l’image : celle du symbole.

Ce caractère symbolique n’est pas sans rappeler le tableau de Klee [1]« Angelus Novus », pour lequel Walter Benjamin dira : « Il représente un ange qui semble sur le point de s’éloigner de quelque chose qu’il fixe du regard. Ses yeux sont écarquillés, sa bouche ouverte ses ailes déployées. (…) Son visage est tourné vers le passé. Là où nous apparaît une chaîne d’événements, il ne voit, lui, qu’une seule et unique catastrophe, qui sans cesse amoncelle ruines sur ruines et les précipite à ses pieds. Il voudrait bien s’attarder, réveiller les morts et rassembler qui a été démembré. (…) Cette tempête le pousse irrésistiblement vers l’avenir auquel il tourne le dos, tandis que le monceau de ruines devant lui s’élève jusqu’au ciel. Cette tempête est ce que nous appelons le progrès. »

En somme, cette description semble étonnamment expliquer et retranscrire une analyse de l’œuvre de Korda, entre les intentions et les combats du Che et « l’aura » symbolique de cette photographie. Au delà de la dimension descriptive et de la réception de l’œuvre, cette œuvre fait donc signe au spectateur en créant une multitude de symboles qui sont ancrés dans les imaginaires.  La symbolique renvoie nettement à une dimension révolutionnaire,  à une histoire et à des idéaux. L’image nous raconte le combat de Che et permet au spectateur connaisseur, d’y voir le symbole de la liberté.

[1] WALTER, Benjamin. Sur le concept d’histoire, IX, Gallimard, Folio-Essais, 2000, p.434.

Pour tout savoir des prochaines expositions photos à Paris c’est par ici.

DeLouison.

(3 commentaires)

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

%d blogueurs aiment cette page :