Les studios Pixar: le monde des jouets VS le monde des humains ?

« Comment ne pas y discerner les émissaires d’une technologie s’évertuant à donner des leçons d’humanité au genre humain ? »

Hervé Aubron, l’auteur

Le journaliste Hervé Aubron, auteur de « Génie de Pixar » est un critique littéraire devenu rédacteur en chef adjoint du « Magazine Littéraire ». Il a collaboré comme critique à plusieurs revues (culturelles, universitaires ou philosophiques), comme « Les Cahiers du cinéma », « Vertigo », ou encore « Rue Descartes ». Parallèlement il enseigne l’esthétique du cinéma à l’Université Paris 3.

Dans « Génie de Pixar » écrit en Juin 2015, l’auteur mêle ses compétences littéraires et cinématographiques pour proposer une étude du studio d’animation Pixar. Il souhaite dresser un portrait du studio d’animation en mettant en avant les technologiques utilisées et leur impact dans la relation à l’homme. Il s’agit d’une œuvre originale, conçue sans titres et chapitres apparents qui s’appuie sur les dessins animés de Pixar afin d’illustrer les propos de l’auteur.

« Génie de Pixar » c’est quoi ?

« Génie de Pixar » est un essai de l’ auteur Hervé Aubron qui propose sa vision du studio d’animation Pixar et des rapports qui s’opèrent entre les ordinateurs et les humains avec Wall-E pour principal exemple qui : « si on l’inverse devient E-WALL, le mur électronique dans lequel nous fonçons, la dalle de silicium que les ordinateurs pourraient finir par sceller sur la fosse de l’humanité, devenue trop lente et archaïque au regard de la cybernétique »[1]. Il propose un état des lieux du studio d’animation en mettant en tension hommes et machines. Pour cela il s’appuie sur Ratatouille : ce rat qui dirige et manipule les hommes. Wall-E, critique et satire du genre humain qui se dessine une place de choix vers la fin de l’humanité. Toy Story, où les jouets sont le résultat d’un univers prédominant sur la vie humaine. Cars, où les humains n’ont plus leur place ou encore Monstres & Cie, cet univers de monstres où l’humain terrifie.

Il s’agira d’analyser le rôle de l’anthropomorphisme dans les productions Pixar. Dans un premier temps, nous verrons que l’anthropomorphisme donne une image contrastée de la société qui va à l’encontre de l’humain et cloisonne ses libertés. Nous analyserons ensuite, dans une deuxième partie, l’impact de l’usage de l’anthropomorphisme sur les animaux, puis dans un troisième temps, nous tenterons de comprendre quelle relation s’établit entre humain et animaux au travers de cet emploi. Cette analyse permettra alors de souligner la critique de l’auteur envers l’utilisation de la technologie des studios de Pixar.

Dans la suite de son ouvrage Hervé Aubron effectue un parallèle entre les productions Pixar et l’histoire de sa conception. En effet, si les dessins animés produits ont tous un rapport avec l’homme et questionnent sa place sur Terre, cela ne renvoie pas moins à l’histoire de Pixar et à ses débuts dans le désert de l’Utah. Car selon l’auteur, ce qui a forgé les choix du studio c’est bel et bien le nom que l’on donna à la puce de silicium du premier ordinateur du studio : Le Pixar.

L’homme, les machines ou les animaux ?

WALL-E

Hervé Aubron affirme que les hommes n’ont plus une place prédominante dans les dessins animés Pixar et que les machines ont pris le dessus, au point ou l’anthropomorphisme est devenu le nouveau créneau du studio d’animation. Les Pixar ne sont donc plus destinés à l’homme mais sont en réalité une ode aux machines, à la technique et par conséquent à d’autres espèces. Peut-on pour autant affirmer que l’humain disparaît totalement au profit d’un monde imaginaire anthropomorphique ou les toys et les animaux auraient plus de légitimité ?

Afin d’affiner cette interrogation nous verrons quel est l’emploi de l’anthropomorphisme dans les animations Pixar, pour ensuite dessiner les interrogations qu’il suscite, notamment autour des questions de genre, et enfin nous dresserons le bilan de l’usage de l’anthropomorphisme selon Hervé Aubron et des angles sous lesquels il peut être abordé.

« Au sens usuel et étroit, le terme « anthropomorphisme » définit le procédé erroné et illégitime par lequel une pensée insuffisamment critique attribue à des objets situés hors du domaine humain – objets naturels ou objets divins – des prédicats empruntés à la détermination du domaine humain, à des fins explicatives ou simplement représentatives. » [2]

Si les studios Pixar ont débuté dans le désert de l’Utah entre les plaques de silicium et le développement de l’informatique, il est presque naturel que les ordinateurs aient une place de choix dans la conception des films animés. L’anthropomorphisme, qui, à première vue semble s’adresser aux jeunes enfants, dans un souci de divertissement et d’identification indirecte (Dafflon Novelle p.5), sert plus en réalité à souligner, montrer et même dénoncer quelques traits caractéristiques de l’humain souvent qualifiés de mauvais. Pour reprendre la définition de Françoise Armengaud, Pixar donne vie à des jouets, des animaux ou encore des objets en leur donnant des allures d’anthropomorphisme morphologique. Et même si l’homme reste au centre de ces animations, l’animal (ou l’objet) reste un protagoniste à part entière et qui parfois prend le dessus (Cars, Ratatouille). Hervé Aubron tente de rétablir la relation qui unit l’homme et les machines en se demandant pourquoi les machines viennent remplacer les hommes ? Car si les animaux sont une métaphore du genre humain, il en est de même pour les robots à qui on attribue les meilleures fonctions humaines.

«Les animaux anthropomorphes sont par conséquent caractérisés à la fois par une très grande liberté par rapport au référent zoologique et par un hypercodage, chaque personnage devenant un bout à bout de caractéristiques et de traits singuliers. »[3]

L’anthropomorphisme, un choix des studios Pixar.

TOY STORY 3

Les caractéristiques de l’anthropomorphisme ne sont pas nouvelles. Ésope au VIème siècle avant Jésus Christ ou encore les fabulistes comme Jean de La Fontaine, utilisaient déjà cette technique de transposition, de narration, afin de dessiner et de dénoncer les traits du genre humain et d’en tirer des morales. Mais si pour Hervé Aubron, l’anthropomorphisme remplace le genre humain, pour d’autres il est un risque dans la représentation de l’homme mais aussi de l’animal. Dans un ouvrage sur le genre, Carole Brugeilles, Isabelle Cromer et Sylvie Cromer s’accordent à dire que :

« L’utilisation de l’animal réel, à la croisée des discours idéologiques sur la nature et la culture n’est pas sans ambiguïté ni risque, d’autant que le glissement vers la représentation humaine se fait par le biais de l’animal déguisé, anthropomorphe : les lois animales pérennes ne sont pas équivalentes aux lois humaines, historiques et culturelles. L’animal, s’il permet la généralisation et la distanciation, autorise aussi l’effacement de l’histoire, de la technique et de la culture, la simplification et la hiérarchisation du monde (…) ». [4]

En cela l’anthropomorphisme permet de souligner plusieurs aspects qui ne sont pas sans rappeler la marque de fabrique de Pixar, tel que le commente Hervé Aubron. En effet, et comme le remarque entre autre Sylvie Cromer, l’anthropomorphisme se permet des libertés qu’il serait difficile d’aborder avec des personnages humains. Ensuite, il donne une image de la société souvent contre l’homme, mais il attribue tout de même aux animaux des caractéristiques humaines où « Des jouets défendent des vertus de fidélités que leurs jeunes propriétaires ont tendance à laisser de côté » [5]. L’anthropomorphisme permet aussi de donner une image des animaux et renvoie soit à un imaginaire soit à une réalité concrète. Enfin, l’utilisation d’animaux anthropomorphiques dans les dessins animés vient brouiller les frontières dans la représentation humaine et animale comme le souligne Sylvie Cromer. Et pourtant, bien que l’homme y soit constamment critiqué c’est bien lui qui reste le référent premier dans cette comparaison et dans ce rapport inqualifiable qui pourtant les unis. Car si Hervé Aubron observe, dans les animations de Pixar, une distanciation de l’homme par le monopole des machines, il relève également que l’homme n’est qu’une étape dans l’usage de l’anthropomorphisme. D’ailleurs Hervé Aubron souligne que « le studio a amplement contresigné le choix d’un anthropomorphisme délié de l’homme» [6]. Pixar fait donc le choix de ne pas mettre l’homme en scène et même de le supprimer totalement (Cars) à l’instar de quelques attraits humains essentiels à un anthropomorphisme réussi et qui combinent tous les aspects pour que le spectateur s’y retrouve et s’identifie.

Le genre dans les dessins animés : un problème ?

TOYS STORY PORTRAIT GROUPE.jpg

Pourtant l’anthropomorphisme n’est-il pas finalement une ode au genre humain ? Car si ces dessins animés sont créés par l’homme, pour les hommes et contre les hommes, peut-on vraiment dire que l’utilisation de l’anthropomorphisme est une critique du genre humain ou seulement un moyen de réinventer de nouveaux genres et de nouveaux récits originaux ? Ce qui est sûr c’est qu’il engendre de nouveaux enjeux et suscite de nombreux intérêts.

Si c’était le rapport homme-machine qui posait question, c’est désormais le rapport au genre qui est mis en avant. En cela l’humain aurait toute sa légitimité et serait même l’élément principal et conducteur à l’utilisation de l’anthropomorphisme. Anne Dafflon Novelle met en exergue la question du sexe chez les personnages de dessins animés. Doivent-ils avoir un sexe ? Un genre défini ? Cela nuit-il à l’identification des jeunes enfants et à leur compréhension du monde ? Pour l’auteure, l’utilisation de personnages-animaux anthropomorphiques se justifie par le fait qu’ : « ils sont majoritaires dans l’offre qui est faite aux enfants de 0 à 6 ans. De plus, les animaux anthropomorphiques suscitent chez les jeunes enfants un fort attrait, puisqu’ils préfèrent les images ne représentant pas la réalité aux images réalistes. Troisièmement, les animaux impliquent chez les enfants davantage de processus d’identification et de projection que les personnages humains. » [7]

Il semblerait alors que l’usage de l’anthropomorphisme soit un processus d’insertion et de représentation idéale pour les jeunes enfants. En ce sens, il s’adresserait d’abord aux jeunes enfants et non pas aux adultes comme dans les animations de Pixar. С. Brugeilles, I. Cromer, S. Cromer, donnent une autre justification à l’usage de l’anthropomorphisme dans la littérature de jeunesse.

« La polysémie de la communication et la richesse de l’interférence animalité/ humanité, la corrélation avec l’absence de plus en plus marquée
 d’animaux dans la vie de l’enfant, la fonction symbolique, la visée scientifique et pédagogique des livres sur les animaux réels, ou encore la fonction de socialisation grâce au détour par l’animal-masque qui sert de modèle de comportement » [8].

Si nous considérons cette réflexion, l’usage de l’anthropomorphisme permettrait à la fois une approche originale, des possibilités infinies d’aborder la relation homme-animal, mais aussi une fonction plus psychologique qui servirait d’identification et de repère pour l’enfant. En cela, l’anthropomorphisme est à la fois un outil d’animation qui permet de sortir des routines cognitives et économiques (de la standardisation au sens d’Edgar Morin) afin de tendre vers l’innovation mais également d’éduquer et de créer de nouveaux repères chez l’enfant.

L’anthropomorphisme: une ode au genre humain ?

RATATOUILLE

« Comment ne pas y discerner les émissaires d’une technologie s’évertuant à donner des leçons d’humanité au genre humain ? » [9]

Nous dit Hervé Aubron aux regards de l’usage de l’anthropomorphisme dans les productions de Pixar. Car si « l’humanité » disparaît, elle ressurgit à travers la qualité des scénarios et des images. Les ordinateurs ne seraient alors que des intermédiaires qui permettraient de matérialiser la place de l’homme sur Terre et d’en établir les principaux attraits. Pour Pixar, les ordinateurs sont des outils. Ils permettent à la fois de rendre compte d’une réalité sous un angle original mais également de reconnecter avec ses origines. Car si pour Hervé Aubron, les machines (les animations de Pixar) sont des critiques du genre humain, il semblerait que connaître les ordinateurs c’est justement pouvoir se retourner contre leur mauvaise utilisation. Pourtant c’est bien l’homme qui critique les machines alors que c’est lui qui s’affaire à les employer. En effet, dans ses animations, Pixar ne se cache pas de l’utilisation d’un anthropomorphisme morphologique puisque les animaux, les objets sont toujours mis en avant au profit du genre humain.

« Mais on peut dire que l’anthropomorphisme n’est pas un problème si on concède qu’il n’y a aucun autre moyen pour parler des animaux et parler aux animaux, qu’utiliser notre langage naturel et ses catégories. » [10]

En outre, si au sein des animations, humains et animaux (ou objets) s’opposent, du côté de la production ce sont les artistes et les informaticiens qui se différencient. Car selon l’auteure Mélanie Lallet, l’anthropomorphisme permet des « lectures subversives » [11] .

TOY STORY 3

Ainsi, à la question : Peut-on pour autant affirmer que l’humain disparaît totalement au profit d’un monde imaginaire anthropomorphique ou les toys et les animaux auraient plus de légitimité ? Il semblerait que la réponse soit équivoque. Car si dans les animations Pixar, l’homme se supplante aux autres protagonistes, il n’en est pas moins qu’il reste le référent numéro un. Tout d’abord dans les traits de l’anthropomorphisme, puis dans les morales et enfin dans les critiques. Car si l’homme est volontairement mis de coté à l’écran, c’est justement pour lui donne plus de poids et de légitimité d’autant qu’il inspire chaque protagoniste qui très souvent reprend un trait caractéristique humain. L’anthropomorphisme reste tout de même un moyen de critiquer les comportements humains (écologie, mondialisation, etc.) et de concevoir de nouvelles créations avec à chaque fois plus d’originalité. « Génie de Pixar » est donc un essai critique envers l’utilisation des machines et des ordinateurs.

Pour Hervé Aubron il signe « la fin » de l’homme et se consacre une place de choix dans les années à venir. Ainsi, cette œuvre nous permet d’apercevoir toute l’originalité et l’inventivité des studios avant d’en lire son parcours initialement chaotique pour finalement s’imposer comme un des studios d’animations incontournable.

De Louison.

BIBLIOGRAPHIE

[1] Hervé Aubron, « Génie de Pixar », Actualité critique, 2015, p.8.

[2] Françoise Armengaud, « ANTHROPOMORPHISME  », Encyclopædia Universalis, (en ligne), consulté le 6 mars 2016.

[3] Harry, Morgan, « animaux », Neuviemeart2.0, (en ligne), consulté le 15 Mars 2016.

[4] Carole Brugeilles, Isabelle Cromer, Sylvie Cromer, « Les représentations du masculin
et du féminin dans les albums illustrés ou
Comment la littérature enfantine contribue à élaborer le genre », Population, 57e année, n°2, 2002, p.274.

[5] Hervé Aubron, Génie de Pixar, Actualité critique, 2015 p.11.

[6] Ibid. p.13.

[7] Anne Dafflon Novelle, « Sexisme dans la littérature enfantine : quels effets pour le développement des enfants », (en ligne), consulté de 1 Mars 2016, p.1.

[8] Ibid. p. 274.

[9] Ibid. p12.

[10] Bourdin Jean-Claude, « L’anthropomorphisme de Charles-Georges Leroy chasseur et philosophe », 2010 (n° 42)

[11] Mélanie Lallet, « Penser l’invisible : la sexualité dans les séries animées françaises pour enfants », Hermès, La Revue 2014/2 (n° 69), p. 43.

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